La direction littéraire et les révisions

Je voudrais vous présenter ici comment on fabrique un roman. Ou, plus précisément, ce qui arrive une fois que votre manuscrit, sur lequel vous avez sué sang et eau, est accepté par un éditeur qui va... l’éditer.

1, La direction littéraire

Votre éditeur va vous attribuer un directeur littéraire, qui peut vous demander de procéder à n’importe quel changement sur votre manuscrit.

Le directeur littéraire connaît son boulot et ce qu’il propose est en général exactement ce dont votre texte a besoin. (Il le sait et il est préférable que vous le sachiez aussi.) Donc, attention, trop s’opposer à son directeur littéraire nuit gravement à la santé de l’auteur.

En général, il y a 3 ou 4 versions successives du texte qui sont produites au cours de la direction littéraire, la version de départ étant souvent appelée "version zéro".

Le passage de la version zéro à la version 1, c’est le gros œuvre. Votre directeur littéraire peut vous demander de déplacer les murs. Ou carrément de reconstruire à côté.
Supprime telle sous-intrigue, elle ne fait pas avancer l’action.
Supprime tel personnage, il ne sert à rien.
Ton histoire est bien, mais si elle était racontée à la première personne par tel personnage, ce serait encore mieux. Réécris tout.
Et si tu supprimais les chapitres 1 et 2 et commençais par le chapitre 3 ?
Mets ton texte au présent et divise la longueur des phrases par 2.
Etc.

Le but de la version 1 est de s’assurer que la structure de l’histoire est solide, que l’action ne se perd pas en chemin et que le rythme est satisfaisant.

La version 2 achève les gros travaux de la v1 et va plus loin : plâtres, sols...
On se sent pas assez ce personnage. Définis-le mieux.
Cette scène est une redite de la précédente. Supprime-la ou fusionne-les.
Ici, il y a un deus ex machina. Supprime-le ou dissimule-le.
(Un deus ex machina est le procédé par lequel un écrivain ou un scénariste sort de son chapeau ce dont il a précisément besoin, et au moment où il en a précisément besoin, pour débloquer ou faire avancer son histoire. On en trouve partout, c’est le chiendent de la littérature et du cinéma.)

Les versions 3 et 4 s’attachent plutôt à la forme : peintures, tapisseries...
Resserre légèrement cette scène. Ou Rajoute quelques détails.

Bien sûr, les frontières ne sont pas étanches. On peut avoir dès la v1 des modifications de forme pour les scènes qui n’ont pas de problème de structure.

En direction littéraire, l’éditeur identifie les problèmes (il vous donnera un rapport de lecture de quelques pages) et peut parfois proposer des pistes de solution, mais la responsabilité des choix et l’écriture appartiennent toujours à l’auteur. Le directeur littéraire n’écrit pas à sa place.

Le directeur littéraire s’attend à ce que vous régliez de façon satisfaisante les problèmes qu’il a identifiés dans votre texte.

Une fois que votre directeur littéraire est satisfait, on passe aux révisions.

2. La révision

 Le réviseur (souvent, la réviseure) maîtrise parfaitement la langue française (bien mieux que vous et moi), est doté(e) d’un œil de lynx et traquera impitoyablement :

- les fautes de français, de grammaire, de syntaxe qui ont survécu à la direction littéraire.
- les erreurs d’emplois de mots. C’est ainsi que je me suis aperçu qu’il y avait une différence entre apporter, emporter, amener, emmener.
- les répétitions. Tu emploies trois fois l’expression "tourner les talons" dans les cinquante premières pages. C’est deux de trop. Ou Tu emploies deux fois l’expression "à la cantonade" dans ton texte. Il s’agit d’une expression peu usitée. Une fois, ça va, deux fois, c’est un tic de langage.
- le ditilisme et ses variantes (créé par Élisabeth Vonarburg, ce néologisme désigne l’excès de "dit-il", "dit-elle", "dit Machin", "dit Bidule" et ses variantes avec murmure-t-il, marmonne-t-il, s’écrie-t-il, s’exclame-t-il, etc.)
- les personnages qui se lèvent de leur chaise dans le feu d’une conversation et qui se lèvent à nouveau dix lignes plus loin. Ou qui vont dans la cuisine alors qu’ils y sont déjà.
- toutes les lourdeurs et maladresses de style.
- les incohérences dans le niveau de langage des différents personnages.
- etc.

Une bonne réviseure saura aussi proposer des tournures de phrase qui rendront votre prose plus percutante là où elle doit l’être, plus souple là où elle doit l’être.

Après le passage en révision, on s’aperçoit que quelques légères retouches peuvent profondément modifier l’impact d’un paragraphe.

La frontière n’est pas non plus étanche entre direction littéraire et révision. Une réviseure pourra proposer de resserrer certaines scènes ou au contraire d’y rajouter des détails.

Tous les changements effectués en révision doivent être acceptés par vous et validés par le directeur littéraire.

3. La mise en page et les corrections

Le texte est alors mis en page, sous forme d’un PDF qui ressemble au livre final. La réviseure s’attaque ensuite aux problèmes posés par la mise en page :

- chapitre qui finit par deux lignes toutes seules en haut d’une page (on appelle ça les veuves et les orphelines),
- paragraphe coupé en deux par le saut de page et qui laisse une ligne ou deux isolées (même remarque),
- tout ce qui heurte visuellement, par exemple des espaces entre les mots qui se retrouvent alignés et créent des "serpents".

Pour régler ces problèmes, la réviseure peut resserrer (ou élargir) légèrement la police de caractère, rajouter un mot, en soustraire un, etc., toujours avec votre approbation.

Quand cela est fait, on passe aux corrections : les correcteurs sont chargés de traquer les derniers problèmes, coquilles, etc. C’est en correction qu’on m’a fait remarquer que dans J’attendrai le temps qu’il faudra, j’avais interverti les postes de recteur et de doyen dans la hiérarchie universitaire. Très embarrassant – et détecté juste à temps.

Vous ne serez pas en contact avec les correcteurs, c’est la réviseure qui vous consultera si besoin.

C’est à ce moment que vous devrez fournir la dédicace, l’avant-propos, les remerciements, s’il y en a.

Enfin, quand tout est terminé, on part à l’impression.

Pour un auteur donné, les travaux de révision sont assez constants d’un livre à l’autre. Par contre, la direction littéraire peut beaucoup varier et vous demander selon les textes de quelques semaines à plusieurs mois de travail, en fonction de l’ampleur des changements requis.

Après la théorie...

Voici les exemples de direction littéraire et de révision sur mon second roman, J’attendrai le temps qu’il faudra. Je tiens à remercier ma directrice littéraire, Geneviève Thibault, et ma réviseure, Hélène Ricard, tout d’abord pour la qualité du travail qu‘elles ont fourni, et ensuite pour m’avoir autorisé à le montrer.

Tout d’abord, les deux premières pages du texte (alors appelé Châteaux de Cartes) et les annotations de la directrice littéraire.





Puis, après la direction littéraire, la révision :




Pour parvenir finalement à la mise en page définitive :























































































J’espère que vous avez aimé ce texte. À l’occasion, je le complèterai par des considérations sur le travail d’écriture lui-même.
JPB


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