Attention:
ce texte, qui explique la genèse de Un dernier baiser avant de
te tuer, contient ce qu'il est convenu d'appeler des “spoilers”.
Un
dernier baiser, avant de te tuer (au
départ, il y avait une virgule au milieu du titre) est
né en 2012, peu après la sortie de mon premier roman, Quand j'en
aurai fini avec toi. Quand j'en aurai fini avec toi,
publié chez la Courte Échelle, mettait en scène le personnage de
Claire Lanriel, professeure d'université, une femme dure,
ambitieuse, prête à tout pour parvenir à ses fins, mais aussi très
seule, n'ayant confiance en personne, et avec de gros problèmes
vis-à-vis de l'autorité. Quand j'en aurai fini avec toi
devait être le premier tome d'une série qui en aurait compté cinq
ou six, consacrée à ce personnage.
Au cours
d'un repas de famille cet été-là, on m'a posé deux questions à
propos de ce premier roman. On m'a demandé si je savais comment la
série Claire Lanriel allait se terminer, et on m'a demandé “ce
qui était arrivé à cette femme durant son enfance pour qu'elle
soit comme ça ”.
J'ai
décidé presque immédiatement de donner à ces deux questions la
même réponse: un livre qui se passerait durant l'enfance de Claire,
donnerait les clés du personnage, et conclurait la série. Je
disposais déjà de matériaux pour l'écriture : Quand j'en aurai
fini avec toi contenait quelques allusions au passé de Claire, à
sa mère américaine et à son père français, à son jeune frère
Hughes, au chalet auquel elle tenait beaucoup et qui occupait
d’ailleurs une place importante dans l’histoire, aux voisins
Simone et Édouard… j'avais semé ces allusions sans penser
qu'elles pourraient faire l'objet d'un livre, et j'étais obligé de
les respecter telles qu'elles étaient.
J'ai su
très vite que derrière le traumatisme fondateur du caractère de
Claire, il y avait une agression sexuelle. J'ai su très vite aussi
que cette agression ne la visait pas, elle, mais son jeune frère
Hughes. Claire, témoin d'une agression menée contre lui, seule à
s'en apercevoir au milieu d'adultes qui ne voient rien ou ne veulent
rien voir, décide de tuer le prédateur pour protéger son frère…
j'avais une histoire.
J'avais
une histoire, et j'avais trois problèmes. Le premier était que la
narration devait être du point de vue de Claire, une petite fille de
onze ou douze ans. Le second problème était que le thème était
difficile – pour ne pas dire casse-gueule. Je ne savais absolument
pas si je pourrais me sortir de ces deux difficultés à la
satisfaction du lecteur.
Le
troisième problème venait de l’histoire elle-même. Il me fallait
un meurtre qui devait passer pour un accident et ne soulever aucun
soupçon, alors qu’il avait été commis par une enfant... mission
quasi impossible. J'ai alors pensé à La maison biscornue,
d'Agatha Christie, où la meurtrière est une petite fille de dix ans
qui se débarrasse de son grand-père parce que ce dernier refuse de
lui payer des cours de ballet. Le grand-père est diabétique et la
jeune meurtrière commet son forfait en manipulant les seringues
d'insuline. Bingo: je reprendrais l'idée d'Agatha Christie. Plus
tard, au moment de la rédaction, j'ai un peu modifié ce schéma de
départ, mais l'idée du prédateur diabétique est restée. On m'a
suggéré de remplacer le prédateur par une prédatrice et le
personnage de Margaret est apparu: grande, maigre, affamée, une
sorte de croisement entre un épouvantail et un vampire.
Restait à
écrire le livre. Je ne savais pas comment faire. Son intérêt
réside dans le point de vue de Claire: le lecteur la suit, voit ce
qu'elle voit, sait ce qu'elle pense, ce qu'elle ressent. C'est une
narration très spontanée: le lecteur est branché en direct sur les
émotions de cette petite fille. Or je travaille beaucoup mes
manuscrits: après le premier brouillon, il y a souvent réécriture
de sections entières, parfois à de nombreuses reprises. Ce travail
de réécriture s'accommode mal du caractère spontané que je
voulais donner à mon texte: la spontanéité, ça s'obtient du
premier coup… je craignais des ruptures de rythme, et des scènes
trop travaillées qui tomberaient à plat ou seraient peu réalistes.
J'ai donc
attendu, pendant environ deux ans, en y pensant un peu, mais pas
trop: toujours cette idée que la spontanéité ne se travaille
pas... Et un jour, la première scène m'est apparue: la mère de
Claire, dans sa cuisine, l’appelait pour faire un
gâteau, et Claire la rejoignait à contrecœur alors qu’elle aurait préféré lire dans sa chambre. J'ai immédiatement écrit
cette scène, qui sonnait “juste”, et quelques pages de plus dans
la foulée.
Après
avoir écrit ce début, j'ai attendu six mois, au cours desquels je n’ai pas touché au manuscrit. Puis la suite m'est
apparue. Et ainsi de suite. Au fur et à mesure, les délais se sont
raccourcis, l'écriture accélérée. Il y a très peu de différences entre le premier jet du texte (qui
a quand même mis plus de deux ans et demi à sortir) et le livre
final. À mon grand soulagement, la spontanéité est restée...
Entre-temps,
la Courte Échelle a fait faillite, interrompant du même coup la
parution de la série Claire Lanriel. Le tome 2, J'attendrai le
temps qu'il faudra, était sorti en 2013, et le troisième, Je
gagnerai quoi qu'il arrive, s'est trouvé orphelin d'éditeur, ce
qui m'a beaucoup ennuyé. Cela ne posait toutefois pas de problèmes
pour Un dernier baiser, conçu comme un livre indépendant.
Pendant le
début de l'écriture - celle de la première partie, qui couvre le
premier été -, je ne savais pas si j'avais réussi à rendre de
façon vraisemblable la “voix” d'une petite fille de onze ou
douze ans; je ne savais pas si j'avais réussi à rendre cette
atmosphère lourde et un peu glauque que je voulais créer. J'ai donc
fait lire ce début à mes lecteurs habituels, Denis Puaud, Stephen
Soucy et Sylvie Adam, ainsi que Geneviève Thibault, ma précédente
directrice littéraire chez la Courte Échelle, qui ont eu la grande
gentillesse de prendre le temps de parcourir cette centaine de pages. Tous
m'ont encouragé à poursuivre ; j'ai donc continué, et le résultat
est maintenant entre les mains des lecteurs.
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